Elle repose sur une analyse de sources textuelles directes et indirectes consacrées à la science aliéniste et à l’expertise judiciaire au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit pour une part d’articles polémiques qui révèlent les tensions entre les deux professions. Nombre d’auteurs médicaux publient notamment dans le Journal de Médecine Mentale de Delasiauve, qui est un organe essentiel de ces débats pendant une dizaine d’années.
L’étude de ces formes frontières de la maladie mentale contraint les aliénistes à renforcer leurs critères diagnostiques mais aussi à convaincre leurs partenaires des pouvoirs publics. Il s’agit de revendiquer un savoir spécifique qui permet de juger de l’existence ou non d’une aliénation en se basant sur des critères partagés. Leurs résultats sont que la folie simulée n’est pas une vraie folie car soit le simulateur confond la folie avec la bêtise, soit il invente un comportement atypique qui ne ressemble à aucune maladie mentale. Succédant aux délires partiels de Pinel et à la monomanie d’Esquirol, la folie lucide d’Ulysse Trélat décrit un type d’aliéné chez lesquels un délire coexiste avec des facultés raisonnantes conservées. Cette problématique illustre comment la nosographie peut être une réponse aux accusations sociales adressées à la corporation aliéniste par des magistrats et des journalistes.
C’est un débat entre deux conceptions différentes de la folie qui se trouve réactualisé à travers cette controverse entre pouvoir judiciaire et pouvoir médical ; celle, holiste, de Maine de Biran, pour laquelle aucune faculté de l’aliéné ne peut échapper à son aliénation ; et celle partielle, de Royer-Collard, pour laquelle l’aliénation n’est jamais complète.
Il n’y a de folie que partielle. C’est sur cet axiome, qui a émergé au tournant de la révolution française, que s’est bâtie la science aliéniste du XIXe siècle. Ce n’est qu’à cette condition qu’un traitement peut s’exercer sur elle. Cette conservation des facultés raisonnantes peut aussi servir à tromper – aliénistes et magistrats l’apprennent à leurs dépens. Mais si la folie peut être simulée ou dissimulée, c’est que son code peut être parodié et détourné. La sémiologie des maladies mentales n’est pas celle du médecin des corps qui appuie sa sémiologie sur une lésion anatomoclinique. Parce qu’il s’agit d’une sémiologie psychique, elle ne peut tenir sa garantie que du champ de l’Autre. Cet aspect de l’exercice de la médecine mentale oblige les aliénistes à obtenir un consensus social fort sur leur action. Les aliénistes en viennent à défendre une conception de leur profession qui se fonde autant sur un savoir sur l’aliénation que sur un savoir-faire et un vivre-avec les aliénés.