Les objectifs de cette contribution sont triples : en premier lieu, démontrer l'importance d'une prise en compte de la très longue durée quand on étudie des dynamiques socio-environnementales ; ensuite, montrer à quel point les données archéologiques sont en effet capables de nous procurer l'information nécessaire pour reconstituer la longue durée de ces dynamiques ; enfin, illustrer par une étude de cas comment on peut identifier les processus qui effectuent des changements environnementaux. En prenant comme exemple l'occupation romaine de la moyenne et basse vallée du Rhône, cette contribution identifie quelques-uns des processus responsables du changement de l'environnement dans la région. En premier lieu, il s'agit de l'existence d'une phase de dégradation climatique au IIe siècle après J.-C. En toute probabilité, cet épisode est d'origine anthropique, dû aux déforestations importantes qui ont préparé la région pour la production, à l'échelle industrielle, de produits agricoles, comme le blé, le vin et l'huile d'olive, pour l'exportation vers d'autres régions de l'Empire. Ensuite, nous avons isolé les principales interactions entre le relief, les sols et l'eau, d'un côté, et les dynamiques sociétales, de l'autre. La localisation de chaque habitat est considérée comme indiquant un choix fait par ses fondateurs. Ces choix reflètent la perception du paysage et des ressources par les premiers colonisateurs. Les principaux indicateurs que nous ayons pour reconstituer ces choix sont les cartes du relief, des sols et de l'hydrologie. À partir de ces cartes, nous avons calculé l'altitude, la pente, l'orientation, la radiation solaire, l'exposition aux vents dominants et la fertilité des sols de chaque lieu et de son environnement. Ensuite, nous avons calculé les préférences de la population de manière statistique, en se basant sur un échantillon de presque 1000 sites. La troisième partie de l'article concerne l'évolution des habitats. Il s'avère que les premiers habitats établis dans le nouveau territoire étaient les plus résilients. Leurs habitants occupaient les meilleurs sites, et ils avaient eu l'occasion de structurer leur paysage et leur territoire avant l'arrivée d'autres colonisateurs. En outre, ils construisaient un réseau routier et mettaient la main sur les ressources localisées. Quatre-vingts pour cent des habitats ont été abandonnés moins de deux siècles après leur fondation. Les raisons de cet abandon ne sont pas d'ordre environnemental, car leur proportion est la même dans tous les paysages. Il semble plutôt que ces abandons fassent partie d'une restructuration du système de peuplement et d'exploitation, après un siècle d'agriculture de plus en plus intensive et commerciale. Cette réorganisation fut déclenchée par une combinaison d'évènements économiques et politiques qui a ébranlé l'Empire. Les habitats qui ont survécu sont en général les plus grands et les plus accessibles. La nature exacte des événements qui ont conduit à ce bouleversement était différente selon les régions. Dans le cas du Tricastin, l'Empereur avait entrepris un vaste projet de défrichement dans cette région dans le quatrième quart du premier siècle avant J.-C. Il servait à procurer un lopin de terre à tous les légionnaires qui atteignaient l'âge de la retraite à cette époque tumultueuse. Une fois la paix rétablie au début de notre ère, l'afflux de soldats à la retraite s'est arrêté. Une des conséquences fut qu'il n'y avait plus assez de main-d'œuvre pour maintenir le système orthogonal de drainage romain en l'état. Le délabrement qui en était la conséquence inévitable réduisait fortement la surface cultivable ainsi que le rendement agricole des terres. Ainsi, une partie importante des fermes n'était plus rentable, et leurs habitants les ont quittées. Pour citer cet article : S.E. van der Leeuw, The ARCHAEOMEDES research team, C. R. Geoscience 337 (2005).